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Laurence anyways

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Exercice de style virtuose et gonflé.

Ambition, gravité, maturité. Ce sont les termes qui revinrent souvent pour qualifier le troisième film de Xavier Dolan, Laurence Anyways (2012).

Enfin, entendait-on, le jeune prodige québécois avait su hisser son cinéma au sommet, le débarrasser de ses affèteries chic, lui insuffler l'ampleur romanesque et tragique qui lui faisait défaut jusqu'ici. La critique, même la plus rétive à la filmographie du cinéaste, applaudissait son geste, le Festival de Cannes lui faisait l'honneur d'une sélection (certes pas encore en compétition officielle), bref Xavier Dolan avait réussi son pari.

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OPAC Recherche SimpleTom à la ferme de Xavier Dolan




Mais on pouvait également s'inquiéter un peu de ce tournant prestigieux que prenait la carrière du réalisateur, se méfier de sa course à la reconnaissance (lui qui nous avait paru être le plus fougueux des sales gosses), regretter la fantaisie pop et le charme désinvolte de ses premiers opus, J'ai tué ma mère (2009) et Les Amours imaginaires (2010). On pouvait craindre, au fond, qu'il ne cède à son propre académisme, et qu'il délaisse ce qui nous semblait constituer le cœur battant de l'œuvre en cours : son absolue candeur, sa manière, à la fois consciente et instinctive, de revisiter l'histoire du cinéma pour inventer un nouveau territoire de fiction.

Des inquiétudes que Tom à la ferme balaie avec vigueur et entêtement. Tournée en secret dans une économie plus low-cost, cette adaptation d'une pièce de théâtre du dramaturge Michel Marc Bouchard semble revenir aux premiers élans impulsifs et expérimentateurs de la filmographie de Xavier Dolan, qui résume ainsi ses intentions : "Il me fallait un scénario éclair pour un tournage en vitesse." Il s'est alors confronté à un nouveau genre, en apparence très loin de sa zone de confort : la série B, ses codes et toutes ses figures imposées, que le cinéaste appréhende avec un esprit frondeur réjouissant.

Sur le papier, Tom à la ferme ressemble donc à un thriller psychologique. On y découvre un publicitaire branché, Tom (Xavier Dolan lui-même, affublé d'une coupe de cheveux blonds peroxydés et d'un look en cuir eighties), débarqué en rase campagne pour assister aux funérailles de son petit ami, mort quelques jours plus tôt.

Dans ce milieu rural assez inhospitalier, auquel il se heurte pour la première fois, le jeune homme apprend l'impensable : sa belle-mère ignore tout de l'homosexualité de son fils décédé, et elle est maintenue dans le mensonge par un aîné brutal et menaçant. Le temps des funérailles, Tom devra se mêler à cette mascarade organisée : jouer les hétéros pour la mère endeuillée, inventer un passé au défunt, dont une ex-copine, et taire ses préférences sexuelles auprès d'un beau-frère de plus en plus inquiétant. Mais participer à cette mise en scène n'est pas sans conséquence, et bientôt Tom se prendra à son propre piège, acceptant le rôle que lui attribue cet étrange microcosme familial.

Transferts d'identités, mensonges et illusions, Tom à la ferme récite parfaitement ses gammes hitchcockiennes (un peu de Psychose, beaucoup de Vertigo) mais il le fait à la manière Dolan, c'est-à-dire selon une logique de sampling iconoclaste et perpétuellement inventif. Qu'il investisse le champ du thriller ou du mélodrame lyrique façon Wong Kar-wai, le jeune cinéaste répond toujours à la même méthode : piocher chez les grands maîtres quelques motifs ou effets de style à partir desquels tracer son propre chemin, et laisser s'épanouir son goût des ruptures de ton.

Le plus impressionnant tient ainsi à la manière dont le film serpente sans discontinuer entre différents genres et humeurs, passant d'une scène d'effroi échappée de Massacre à la tronçonneuse à une situation de comédie (un tango endiablé entre Tom et son beau-frère), filant du polar au boulevard, de l'horreur au mélodrame queer, et ainsi de suite.

Décuplé par l'esprit ludique propre au thriller, cet art assez gonflé de la dissonance trébuche parfois sur quelques maladresses (un resserrement du cadre dans les scènes de suspense, une certaine tendance à l'emphase), mais se relève toujours grâce à la verve et à la dérision de Dolan. Dans l'habile jeu de masques de Tom à la ferme, ce petit théâtre des apparences où l'on aime des morts et des mensonges, Xavier Dolan aura ainsi trouvé l'écrin idéal pour un exercice de style, et une nouvelle variation sur son thème fétiche : l'amour comme pure création imaginaire, fut-elle cauchemardesque.


par Romain Blondeau

le 15 avril 2014 à 18h31


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